L’instinct maternel : mythe persistant ou réalité biologique ?
- Laure - Bébé Link
- 23 oct. 2024
- 5 min de lecture
L’instinct maternel. Ces deux mots, lourds de sens, font souvent surgir des images de femmes qui savent naturellement quoi faire dès la première seconde où leur bébé pousse son tout premier cri. Mais est-ce bien réel ? Est-ce que toutes les femmes ressentent cet instinct ? Et si on ne le ressent pas, est-on une mauvaise mère pour autant ? Spoiler alert : non. Et heureusement.
Cet article vous propose un décryptage clair, humain et nuancé de ce fameux "instinct", en le confrontant à la science, à l’histoire, à la psychologie… et surtout à la réalité vécue sur le terrain de la parentalité.
L’instinct maternel est souvent perçu comme un comportement inné chez les mères, les poussant naturellement à aimer, comprendre et s’occuper de leur enfant. Pourtant, ce concept est une construction sociale popularisée par Charles Darwin en 1871, et renforcée au fil du temps par des normes culturelles et patriarcales. En réalité, le lien parent-enfant se construit, s’apprend et se vit différemment selon chaque mère, sans recette magique ni automatisme biologique.

Qu’appelle-t-on instinct maternel, au juste ?
Par définition, un instinct est un comportement inné, spontané, non appris, que l’on retrouve souvent chez les animaux pour assurer la survie de l’espèce. Nourrir, protéger, couver, soigner : les comportements dits "instinctifs" sont observables chez de nombreuses espèces.
Mais chez l’humain, c’est un peu plus complexe. Le cerveau humain, son développement, son environnement social et culturel modifient profondément nos réactions. L'instinct maternel, tel qu’on l’entend souvent, supposerait que toutes les femmes seraient "programmées" pour devenir mères et pour aimer leur enfant dès le premier regard. Et pourtant… beaucoup de mères, et même de pères, témoignent d’une réalité bien différente.
Instinct ou amour maternel : quelle différence ?
L’amour maternel, lui, est un sentiment, une construction émotionnelle et affective qui se développe avec le temps. Ce lien entre un parent et son bébé naît à travers l’interaction, les regards, les soins, les gestes du quotidien. Ce n’est pas un réflexe automatique. Il peut être immédiat, différé ou parfois même compliqué à ressentir au début — et tout cela est normal.
L’attachement, étudié par des psychologues comme John Bowlby, est un processus relationnel, influencé par l’environnement, les expériences de vie, la santé mentale, le soutien reçu, ou encore l’histoire personnelle de chacun avec l’amour parental. Autrement dit, il ne tombe pas du ciel.
Ce que dit la science (et un peu d’ocytocine)
Côté neurosciences, certaines études ont montré que la production d’ocytocine, surnommée "hormone de l’amour", augmente pendant la grossesse, l’accouchement, l’allaitement, et même pendant les moments de peau à peau. Elle favorise l’attachement, le comportement parental, et renforce le lien entre parent et enfant.
Mais ce processus n’est pas réservé aux femmes, ni même aux personnes qui accouchent ! Les pères, les co-parents, les adoptants, ou toute personne qui prend soin régulièrement d’un enfant peuvent développer ces mêmes réponses émotionnelles, et ce, quelle que soit leur production hormonale initiale.
Cela montre que la parentalité n’est pas qu’une question d’instinct, mais bien un processus relationnel et contextuel.
Une construction sociale… et une invention (pas si) naturelle
Si la science ne trouve pas de preuve d’un instinct maternel universel, alors pourquoi cette notion est-elle si ancrée ? La réponse se trouve souvent dans l’histoire… et un peu dans les manuels de biologie évolutive.
C’est Charles Darwin, dans “La Filiation de l’Homme” (1871), qui évoque pour la première fois la notion "d’instinct maternel" chez l’humain. Dans une logique purement évolutionniste, il suppose que les femmes, en tant que mères, sont naturellement poussées à protéger et nourrir leur progéniture, pour assurer la survie de l’espèce. Cette idée a longtemps été reprise, parfois sans remise en question, comme un fait naturel, universel… et surtout réservé aux femmes.
Mais ce que Darwin n’avait pas anticipé (spoiler : il n’était ni neurologue, ni sociologue), c’est à quel point l’environnement, la culture, les normes sociales, et l’histoire individuelle influencent profondément la manière dont on devient parent. Et surtout, à quel point cette vision biologique pouvait devenir une injonction pesante.
Au fil des siècles, cette idée a été renforcée par les discours politiques, religieux et moralisateurs. Notamment au XIXe siècle, quand l’État et l’Église ont encouragé les femmes à s’occuper elles-mêmes de leurs enfants pour renforcer la cellule familiale. C’est là que naît vraiment le mythe de la "bonne mère" guidée par son instinct.
La philosophe Élisabeth Badinter, dans son ouvrage “L’amour en plus”, montre très bien comment cette notion d’instinct a été construite, valorisée, et même instrumentalisée pour assigner les femmes à la sphère domestique. Autrement dit : ce n’est pas parce qu’on l’a toujours dit que c’est vrai.
Peut-on être une bonne mère sans instinct maternel ?
Oui, mille fois oui. Être une bonne mère, ce n’est pas tout savoir instinctivement. C’est apprendre à connaître son enfant, faire de son mieux, demander de l’aide, reconnaître ses limites, prendre soin de soi aussi. Le lien ne se décrète pas : il se construit. Avec temps, présence et bienveillance.
De nombreuses femmes ne ressentent pas immédiatement un sentiment fort envers leur bébé. Cela ne les rend pas moins mères, ni moins capables d’aimer. Ce type de discours est essentiel pour briser les tabous autour du post-partum, du baby-blues, de la dépression maternelle ou du manque de lien initial.
La parentalité : une compétence qui s’apprend
Contrairement à l’instinct, la parentalité est une compétence évolutive. On apprend à écouter, à répondre aux besoins de l’enfant, à ajuster son comportement, à co-réguler les émotions.
Cela peut se faire grâce à des ressources (livres, accompagnement, groupes de soutien), mais aussi grâce à l’expérience, à l’erreur, aux remises en question. Et cela concerne tous les parents : mères, pères, co-parents, familles adoptantes, sans distinction de genre.
Les dangers des injonctions à l’instinct
Croire au mythe de "l’instinct maternel" peut faire beaucoup de mal. Cela peut :
Culpabiliser les femmes qui ne ressentent pas de lien immédiat avec leur bébé
Invisibiliser les pères et les co-parents dans leur rôle parental
Retarder la détection de troubles du post-partum par peur de ne pas être "normale"
Écarter des femmes de la maternité si elles ne se sentent pas "faites pour ça"
Rappelons que l’amour, la compétence parentale, le lien affectif : tout cela peut s’apprendre, se vivre à son rythme, et se construire sans pression.
Un mythe à détricoter, une parentalité à inventer
L’instinct maternel, tel qu’il est souvent présenté, n’existe pas en tant que réflexe automatique et universel. En revanche, l’amour maternel, lui, est bien réel… mais il se construit, il évolue, et il varie selon les personnes, les histoires, les contextes.
Ce que la science, la psychologie, la sociologie, et les témoignages de mères nous apprennent, c’est qu’il n’y a pas une seule manière d’être parent. Il y a des chemins variés, des vitesses différentes, et aucune émotion n’est "anormale".
Alors si vous ne ressentez pas "l’instinct", pas de panique. Ce n’est pas un bug dans votre code de maman, c’est juste… l’humanité, dans toute sa richesse et sa complexité.
Et vous, aviez-vous déjà entendu parler de cette origine étonnante de l’instinct maternel ? Dites-moi en commentaire ce que vous en pensez
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